Naissance
Le soleil était radieux.
Depuis quelques jours le thermomètre affichait des températures dignes d’un plein été.
J’avais troqué mon pantalon de grossesse contre une robe d’été, large et généreuse pour mon ventre arrondi.
Les fenêtres étaient largement ouvertes depuis le matin sur le jardin où le printemps explosait de beauté.
La première contraction légèrement douloureuse m’a rappelé que j’approchais du terme.
Je n’y ai guère prêté attention.
Ma présence aux cotés de ma grand-mère pour son dernier souffle, le choc émotionnel vécu par «cette mort en direct »avaient déclenché deux mois avant ,une série de contractions irrégulières mais répétées.
Je n’étais plus dans l’obligation de me reposer : le bébé avait atteint un poids suffisant.
Quelques heures plus tard, les contractions se succédaient à un rythme très régulier stoppant tout aussi régulièrement mes activités ménagères du samedi matin. J’ai très vite remarqué que la douleur devenait négligeable si je marchais.
Ma journée marathon avait débuté.
J’ai ainsi parcouru des kilomètres et des kilomètres, ma journée étant ponctuée de marches rapides, de montées, de descentes d’escalier, jusqu’à ce que je réalise que le rythme s’était accéléré.
J’avais une revanche à prendre sur mon premier accouchement.
Il n’était pas question d’arriver trop tôt à la maternité.
Désormais, je savais d’expérience qu’allongée, reliée à une perfusion, ligotée au monitoring, je n’aurai plus aucune possibilité d’être maîtresse de mon corps, de contrôler la vague douloureuse quand elle se fait submergeante.
Notre corps ne nous appartient alors plus. Il devient cet étranger que nous ne reconnaissons plus.
Autour de dix-sept heures, j’ai pensé qu’il était temps de confier le futur grand frère à sa grand-mère.
J’ai un peu bousculé « mon homme »qui me voyant si vaillante ne réalisait pas que l’échéance approchait.
A dix-huit heures nous étions à la maternité.
Une petite femme brune aux yeux rieurs m’a accueillie avec un grand sourire. Après un rapide examen elle m’a immédiatement dirigée vers la salle d’accouchement.
Les fenêtres, là aussi, étaient grandes ouvertes. Les bruits extérieurs montaient jusqu’à nous reliant la vie de dehors avec celle du dedans.
A dix huit heures trente ma fille venait au monde « coiffée » (poche des eaux intacte).
La sage femme réjouie s’est exclamée :
« OH ! C’est exceptionnel !
C’est signe de chance !
Vous êtes faite pour faire des enfants »
Le soleil brillait toujours, mais je n’avais plus d’yeux que pour ma tout belle posée sur mon ventre.
Elle ne pleurait pas, avait un petit air sérieux en ouvrant les yeux sur le monde.
A l’expulsion du placenta, c’est ma fille qui a réagi à la douleur en faisant la moue puis en pleurant
-« Voyez vous ça, la petite chérie ne veut pas qu’on fasse mal à sa maman »
La sage femme n’a pas su que son énoncé déclencherait un nouage d’amour immédiat qui n’était pas prêt de se défaire.
Ma fille a vingt-deux ans aujourd’hui.